The Chantal Chawaf Newsletter, Volume II, Number 1 (Summer-Fall 1998)
Critique"Le Manteau noir ou la découverte de la lumière,"à Monique Saigal, Pomona College, États-UnisLe Manteau noir de Chantal Chawaf, ancré dans le contexte historique de la deuxième guerre mondiale et publié en 1998, porte l'étiquette d'"autofiction". Il diffère de ses autres livres car il s'agit en grande partie de son parcours biographique fictionnalisé dans le personnage de la narratrice Marie-Antoinette allant de son passé à son présent proche. D'une part, on constate les souvenirs d'enfance et d'adolescence de la protagoniste et d'autre part, la recherche de ses origines par un travail acharné qui est une véritable descente aux Enfers. Pourtant elle en ressort spirituellement enrichie et régénérée. La première époque débute par le leitmotif de la naissance tronquée de la narratrice mais placée ici dans le contexte précis et sordide du Paris en guerre. Le personnel rejoint le collectif car la mort affecte non seulement les parents de Marie-Antoinette mais toute une population également innocente. On retrouve avec quelques variations les renseignements biographiques énoncés déjà de manière fragmentée dans le premier livre de Chawaf, Retable. Ce qui restait flou dans ce texte comme dans les suivants, s'élucide et s'explique selon un ordre assez linéaire au début du livre. La protagoniste naît à Auteuil par césarienne, dans une ambulance où se meurt sa mère frappée par le bombardement des alliés à Boulogne-Billancourt, le 15 septembre 1943. Le père et la tante qui l'accompagnaient en voiture sont également tués. Marie-Antoinette élevée pendant un temps dans une pouponnière est illégalement confiée à un couple qui l'adopte plus tard grâce à de faux papiers, un faux témoin et une somme considérable d'argent. Dès son plus jeune âge, l'orpheline de guerre que l'on a dépouillée de ses racines, pressent qu'elle n'est pas l'enfant de ce père Dady et de cette mère Dadou qui pourtant l'adorent. Elle souffre du manque de parents biologiques dont elle se souvient à travers sa mémoire pré-natale qui a enregistré des impressions sensorielles liées aux sons, aux couleurs, au toucher et au goût. Elle aperçoit ses géniteurs sous forme de fantômes et adopte peu à peu un comportement de plus en plus rebelle envers Dady et Dadou. Un jour, celle-ci, exaspérée, finit par avouer à la fille qu'elle idolâtre qu'elle n'est pas sa véritable fille. Une rage envahit alors l'orpheline qui se sent trahie, crie sa haine à ses parents adoptifs, et harcèle Dady qui a tout manigancé, pour connaître la vérité sur ses origines. La deuxième époque présente la narratrice maintenant âgée de cinquante ans qui part en quête de son passé pour découvrir la vérité. Elle questionne des témoins de l'époque dont un bibliothécaire ancien résistant, un secouriste, un généalogiste et la puéricultrice qui l'avait prise en charge à sa naissance. Elle s'engage ensuite, vêtue d'un manteau noir, son armure de guerre et son voile de deuil, dans l'Enfer des Archives de Boulogne et de Paris, pour tenter de trouver des renseignements sur ses parents disparus. Elle va, telle un Christ, assumer les douleurs des victimes pendant plusieurs années car "elle a un chagrin universel" (315). Le manteau noir qui donne le titre au livre et forme son noyau matriciel comporte des signifiés multiples. Il recouvre bien sûr la véritable identité de la narratrice comme la fumée noire du bombardement. Le vêtement qui est reversible, est une métaphore à double tranchant comportant à la fois des aspects négatifs et positifs qui s'interpénètrent. Associé à la mort et à la vie, le manteau a un statut hybride comme la chauve-souris, animal à la fois terrien et aérien auquel il ressemble par le mouvement de ses larges manches noires. C'est un vêtement de laine "en bon fil peigné" (313) qui s'anime comme un être vivant, s'enroule, s'ouvre ou se referme tout seul. Comme la narratrice dont il est synecdoque et métonymie, le manteau noir est celui de la mort qu'on refuse de voir, un "manteau-soupirail" (373), "oppressant" et "clos" (357). Il est vampire comme l'orpheline de guerre qui se nourrit de milliers de dossiers sur les victimes des bombardements. Le manteau noir a également une connotation morale et symbolise le mal et le bien car il est masque et abri protecteur. Il sert de paravent à la réalité administrative de l'Etat français sous le régime de Vichy. Il dissimule les manigances de certains politiciens, la collaboration pétainiste qui sous l'apparence de la normalité ou de la résistance est une alliance avec l'ennemi: "La collaboration, c'est ce langage impropre: 'terrorisme' pour 'résistance', c'est l'apparence de la vie normale comme ce cirque Amar que Paris veut imposer aux Parisiens quand il n'y a plus rien de normal, ni à Paris ni ailleurs. C'est une vie frelatée comme le vermouth qu'on sert dans les bars ouverts aux occupants et aux Français, au tarif du marché noir" (42), (mes italiques). Le manteau noir se distingue par une épaisseur de tissu trompeuse qui "cache" l'indifférence et la cruauté. Il évoque les rideaux et les tentures pesantes constitués "de centaines de mètres de tentures" (15) pour décorer les chapelles ardentes et les dépôts mortuaires dressés pour donner l'impression qu'on se soucie des morts. On "revêt" les rues pour cacher les dégâts des bombardements, "sauver les apparences" (17). Le manteau symbolise aussi le mutisme de Marie-Antoinette qui ne révèle pas le secret des visions fréquentes qu'elle a des ses parents. C'est ce manteau noir lourd de significations dont elle arrivera enfin à se débarrasser. Si les aspects négatifs du manteau noir dominent, ils engendrent les aspects positifs qui finissent par triompher car il est le véhicule d'une véritable construction qui libère la narratrice et lui redonne vie. La présence de la mère et du père se révèlent dans l'aspect androgyne du manteau. Il est d'une part un "ventre-abri" doux, molletonné qui donne naissance, protège et préserve comme une mère. D'autre part, il a l'allure masculine qui rappelle "les pardessus des hommes des années 40" (313). La double nature du manteau-matrice où Marie-Antoinette est encore psychologiquement nichée, donne forme à une maison qu'elle reconstruit pour se protéger de sa vulnérabilité (378) et compenser son manque affectif. Après deux ans d'efforts et de souffrance, l'orpheline comprend que la douleur peut nourrir la joie. Soudain, par un effet de miroir, le manteau-peau, charnière entre monde extérieur et monde intérieur, se retourne. La mort renvoie la vie au lourd vêtement de laine reversible qui se dépouille de son aspect mortuaire pour laisser entrer la lumière du jour: "Le manteau est retourné. Brodé à l'envers, rebrodé de miroirs, il étincelle, on ne voit que la blancheur de cette doublure de lumière qui s'est vaporisée d'un coup sur le noir mat du vêtement de guerre et qui s'éclaire, prend l'éclat de la chair nacrée, tisse une femme-fleur, capte le jour" (402). La femme de cinquante ans restée un petit être symbiotiquement liée au vêtement morbide, récluse au sein d'entrailles mortes pendant des années, se libère de son état de foetus, pour devenir un être à part entière. Chez les de Lummont et aux Archives, elle n'était qu'à demi-vivante et demi-morte. Chrysalide, elle peut maintenant sortir de son cocon, naître et devenir papillon: "L'immobile et l'hermétique coque de laine noire s'anime de contractions brusques, saccadées comme la larve en train de muer finit par s'ouvrir par la tête et par le dos pour se dégager de son corps desséché" (407). L'orpheline, Parque à rebours, "va filer [sa] robe de naissance" (401) (mes italiques), sa propre création et non plus celle de la mort. Elle va troquer le lourd fil pesant du vêtement d'hiver contre le fil léger d'une robe d'été et devient non seulement adulte mais aussi écrivain. Fille, elle est la partie de la mère qui est sauvée et qui pourra continuer la vie. "Ce lien vient du corps et il a la force de l'esprit qui survit au corps" (205). Elle passe ainsi de l'état de victime à l'état de témoin" (395), coupe le fil du manteau noir qui la rattachait à la mort pour tisser celui de la vie par l'écriture. Son ouvrage sera une mise en abyme de celui de sa mère littéraire, Chantal Chawaf, qui veut produire la vie par une écriture sensorielle de la chair, le pré-langage de la mémoire foetale où les mots ne sont pas encore formés. Ainsi, elle fera revivre le féminin mutilé par la société d'aujourd'hui. |
Review"The Black Coat (Le Manteau noir) or the Discovery of the Light,"by Monique Saigal, Pomona College, USATranslated by Sally Leabhart and Kristin SwitalaThe Black Coat (Le Manteau noir) by Chantal Chawaf, rooted in the historical context of the Second World War, and published in 1998, is described as an "autofiction". It differs from her other books because in that it deals for the most part with her own life, fictionalized in the character of the narrator, Marie-Antoinette, progressing from her past to her present. We learn, on the one hand, of the narrator's childhood and adolescent memories and, on the other hand, of her relentless research as to her origins -- a veritable descent into Hell. The first period begins with the leitmotif of the truncated birth of the narrator, but placed here in the precise and sordid context of wartime Paris. The personal coincides with the collective, for death affects not only Marie-Antoinette's parents but also an equally innocent population. One finds with some variations the biographical information set out in a fragmented manner reminiscent of Chawaf's first book, Retable. What remains unclear in this text as in the subsequent ones, is elucidated and explained in a rather linear way at the beginning of the book. The protagonist was born at Auteuil by Cesarian section, in an ambulance where her mother lay dying, having been hit in the Allied bombing of Boulogne-Billancourt, on September 15, 1943. Her father and aunt accompanying her, were also killed. Marie-Antoinette, raised for a time in a children's home, was illegally entrusted to a couple who later adopted her, thanks to false papers, a false witness and a considerable sum of money. From her earliest days, the war orphan that had been stripped of her roots, senses that she is not the child of this father Dady and this mother Dadou, who nevertheless adore her. She suffers from the lack of her biological parents whom she remembers through her pre-natal memory which recorded sensory impressions related to sounds, to colors, to touch and to taste. She perceives her parents in the form of phantoms and, little by little, adopts a more and more rebellious attitude towards Dady and Dadou. One day, the latter, exasperated, ends up admitting to the daughter she idolizes that she is not her real mother. The orphan who feels betrayed, is overcome with rage; she vents her hatred towards her adoptive parents and in order to find out the truth about her origins harasses Dady who had schemed to hide the real story. The second period presents the narrator at about fifty, leaving in search of her past in order to discover the truth. She questions witnesses from that time, including a librarian and former member of the Resistance, a first-aid worker, a genealogist and a pediatric nurse who had taken care of her after her birth. Then, dressed in a black coat -- her war armor and her mourning veil -- she descends into the underworld of the Archives of Boulogne and Paris, to try to find information on her dead parents. Like a Christ figure, she will take on the suffering of the victims for several years for "she has a universal sorrow" (p. 315). The black coat from which the title derives, and which forms the matrix of the book, includes various signifieds. It conceals, of course, the true identity of the narrator as did the black smoke of the bombing. The garment which is reversible, is a double-edged metaphor, including at the same time, negative and positive aspects which intermingle. Associated with death and life, the coat has a hybrid status, like a bat -- inhabitant of both earth and sky -- which the coat resembles through the movement of its wide black sleeves. It's a woolen garment "made of good combed thread" (p. 313) which comes to life, curls up, opens or closes up on its own. Like the narrator to which it is synecdotal and metonymical, the black coat is that of death which one refuses to see, a "cellar-window coat" (p. 373), "oppressive" and "closed" (p. 357). It is a vampire like the war orphan who fed on the millions of records about the bombing victims. The black coat also has a moral connotation and symbolizes good and evil because it is both protective shelter and mask. It veils the administrative reality of the French State under the Vichy regime. It hides the schemes of certain politicians, the Petainist collaboration which under the appearance of normalcy or of the resistance is an alliance with the enemy: "The collaboration is this inaccurate language: 'terrorism' for 'resistance', is the appearance of normal life like the Amar Circus that Paris wanted to impose on Parisians when there was no longer any normalcy, neither in Paris nor anywhere. It is an unnatural life like the vermouth that one serves in the bars open to occupiers and to the French, at the black market price" (p. 42). The black coat is distinguished by a deceptive thickness of the fabric which "hides" indifference and cruelty. It evokes the curtains and heavy draperies made up of "hundreds of yards of fabric" (p. 15) to decorate the makeshift mortuaries set up to give the impression that one cares about the dead. They resurface the streets to hide the damage from the bombings, "to save face" (p. 17). The coat also symbolizes the silence of Marie-Antoinette who does not reveal the secret of the frequent visions she has of her parents. It is this black coat, heavy with meaning, of which she finally manages to rid herself. If the negative aspects of the black coat dominate, they engender the positive aspects which finally triumph, for it is the means of a true construct -- the writing of the book -- which frees the narrator and brings her back to life. The presence of the mother and father are revealed in the androgynous aspect of the coat. It is on the one hand a soft, fleece-lined "belly shelter" which gives birth, protects and preserves like a mother. On the other hand, it has a masculine appearance which is reminiscent of "men's overcoats from the 1940s" (p. 313). The double nature of the coat-womb where Marie-Antoinette is still psychologically nestled, gives shape to a house that she reconstructs to protect herself from her vulnerability (p. 378) and to compensate for her emotional emptiness. After two years of effort and of suffering, the orphan understands that sorrow can nourish joy. Suddenly, through a mirror effect, the coat-skin, bridge between the exterior and interior worlds, turns itself inside out. Death reflects back the image of life onto the heavy reversible woolen garment which is stripped of its mortuary aspect to give way to the light of day: "The coat is turned inside out. Embroidered on the inside, embellished with mirrors, it sparkles, one sees only the whiteness of this lining of light which vaporized all at once on the matt black of the war garment and which lights up, takes the sheen of iridescent flesh, weaves a woman-flower, soaks up the daylight" (p. 402). The 50-year old woman, still a small being symbiotically tied to the morbid garment, for years a recluse within dead entrails, frees herself from her foetal state and becomes a whole being. At the de lummont's and at the Archives, she was only half-alive and half-dead. Chrysalis, she can now come out of her cocoon, be born and become a butterfly: "The immobile and hermetic shell of black wool stirs with sudden contractions, jerky like larva in the process of metamorphizing, ends up opening from the head and from the back to release itself from its dried up body" (p. 407). The orphan, like Fate, but whose work has been reversed, "goes to spin her birth robe" (p. 401), her own creation and no longer death's. She goes to trade the weighty thread of the winter garment for the light thread of the summer dress and becomes not only an adult but also a writer. A daughter, she is the part of the mother which is saved and which can continue to live. "This line comes from the body and it has the strength of the spirit which outlives the body" (p. 205). "She passes thus from the state of victim to the state of witness" (p. 395), cuts the thread of the black coat which attached it to death in order to weave life's thread through writing. Her work will be a mise en abyme of that of her literary mother, Chantal Chawaf, who wants to produce life by a sensorial writing of the flesh, the pre-language of fetal memory where words are not yet formed. Thus, she would revive the feminine mutilated by today's society. |
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